PEDAGORE 010
Site pédagogique concernant l'enseignement et l'apprentissage instrumental et musical
Chantier de l’audible…
Journal de chantier, Luc Fuchs
Notes des expérimentations et démarches en lien avec la notion de « solfège de l’audible », suite au stage donné par Alain Savouret (Lyon, janvier 2011).
Avec le but notamment de travailler avec des « pièces haut-parlantes » (Cf. protocole pour pièces haut-parlantes ) extrait du livre d’Alain Savouret « Initiation à un solfège de l’audible » .
Journal livré ici à l'état "brut"... comme ils ont été rédigés en résonnances aux moments de cours... Ils sont plus de l'ordre de l'échange entre "expérimentateurs" que de la "publication", qui demanderait un retravail considérable de rédaction...
Si la plupart des points mentionnés dans cet article ressortent d’une préoccupation pédagogique depuis un certain temps, la participation au stage donné par Alain Savouret me permet de donner plus de valeur à ces travaux, et contribuent à aller plus loin, à donner un élan et une rigueur à ces démarches. Ce qui est aussi un rôle de la formation continue, qui ne doit pas avoir uniquement un rôle d’ « initiation », mais de permettre de développer encore plus, et avec une plus-value qualitative, une démarche déjà bien engagée.
Les points présentés et traités ci-après, loin d’être exhaustifs, sont quelques jalons, quelques repères d’action et de réflexion en lien direct avec la pratique pédagogique que je peux expérimenter dans l’enseignement instrumental et musical.
« Chantier », car toujours en « travail », entre « creusements » et « bâtissages », entre interrogations et réalisations, dans une recherche continue de l’équilibre pour l’instant.
En partageant ces moments de cours et ces réflexions qui en sont issues, l’idée est de l’ordre de l’échange, non d’une rédaction modélisante ou méthodisante (bien au contraire), Mais plutôt de pouvoir aussi avoir accès à d’autres réflexions et expériences de différentes personnes enseignantes ayant des interrogations se recoupant avec celles-ci.
[pour tout contact, commentaire, partage d’expériences et de réflexions : luc.fuchs@bluewin.ch]
27 avril 2011
A propos d'une notion/problématique qui se rencontre dans certaines situations pédagogiques en lien avec de la "créativité", le « pas d’idée »...
- Ne pas avoir d’idée… ou « je n’ai pas d’idée… », ou encore « les élèves n’ont pas forcément d’idées… »… Essais d’esquives, de renoncement, ou situation de réel « vide » ? L’ « absence d’idée », déclarée ou pas, donne précisément matière à apprentissage, objet à développer. Derrière ces « pas d’idée » peut se cacher nombre de « raisons », de (non-)motivations révélatrices de points à « travailler ». D’autant plus nécessaire d’y travailler que sans idée, il est difficile de développer une activité « artistique » dont la « création » est par définition un des moteurs essentiels, difficile également de développer un apprentissage intégrant une autonomie signifiante de celui-ci. Aussi, la « recherche et le développement d’idée » est une composante essentielle de l’apprentissage artistique, ici instrumental et musical.
- De l’absence, révélatrice, d’idée…
Le « pas d’idée » l’est-il réellement, ou est-il une barrière mise consciemment ou inconsciemment entre l’idée et son « expression » ? « Avoir » une idée, c’est exprimer de soi, se mettre en jeu, se « raconter ». Selon les situations, et notamment dans ce qui a trait à la recherche sonore, cela peut être sortir d’un « convenu », « transgresser » des habitudes ou des manières de faire établies, oser l’ « inédit », le non encore « révélé ». « Avoir une idée », cela peut signifier risquer l’évaluation, le « jugement » de celle-ci, ou de soi à travers celle-ci, peur que ce ne soit pas la « bonne » idée… Alors, en tant qu’enseignant, (/ éducateur musical / tuteur), comment « travailler » avec l’élève pour qu’adviennent les idées, comment « le mettre au travail » de la recherche et de l’expression de l’idée ?
Au jeu de l’idée, l’enseignant peut s’y prendre aussi, devant à tout moment « chercher » l’idée de dispositif à proposer à l’élève pour que celui-ci puisse se mettre à apprendre… La recherche d’idée pédagogique peut déjà être une terrain d’auto-observation riche en informations…
- L’advenance d’idées…
- Accepter aussi de ne « pas avoir d’idée », et de se lancer tout de même dans le jeu… L’idée vient souvent en jouant ; c’est aussi une affaire de confiance, de se faire confiance, de se laisser à oser ; oser se perdre parfois, pour risquer se retrouver, risquer de faire un bout de chemin, d’évoluer.
- Le jeu avec les « pièces haut-parlantes » est révélateur pour ce qui est de l’écoute, et aussi de l’advenance des idées. La première expérience peut être déroutante, comme elle peut aussi être libératrice… S’il y a « pas ou peu d’idée », il faut que cela se passe, puis en y revenant, sur une autre pièce ou la même, nous pouvons observer l’émergence d’idées, d’une « interaction » de jeu, de l’émergence aussi d’une « matière » à travail, à développement.
- Dans la pratique, des élèves ont pu clairement s’exprimer sur leur « évolution » dans les « advenances d’idées » : « …cette fois, c’était plus facile, j’ai trouvé plus facilement des idées… » / « La première fois, je faisais toujours la même chose, et là, j’ai plus varié, car j’ai plus écouté ce qui venait des haut-parleurs… » « Il n’y a peut-être pas assez de silences sur la proposition haut-parlante pour pouvoir (inter-)agir… »
- Notamment dans le jeu sur pièce haut-parlantes, mais aussi dans d’autres situations en interaction, la focalisation sur le « produire » est un frein à l’advenance d’idées, alors qu’une focalisation sur l’écoute, sur l’ « entendre », permet cette advenance, qui devient plus « naturelle », et qui peut aussi être mieux « gérée », « traitée »…
- L’évaluation pédagogique se situe ici dans le rapport de l’élève à ce qu’il a pu proposer ou capter. Il ne s’agit pas de « quantifier » la valeur des propositions, d’une « production », mais d’évaluer comment « cela a eu lieu », comment l’élève a pu entrer (on non) en jeu, réagir à un événement, ou provoquer un événement, se sentir « avec » ou « contre » (« pareil / pas pareil »). L’observation distante de l’enseignant (« tuteur ») permet à celui-ci de capter un certain nombre d’indications qui lui seront utiles pour proposer un prochain dispositif (ou reconduire un dispositif déjà proposé) ; Mais il a aussi besoin de sollicité l’élève pour compléter ce qui a été observé, dans un échange avec celui-ci. Ce qui permet aussi à l’élève de prendre conscience, par souvenance de ce qu’il a lui-même mis en jeu, de ce qu’il s’est mis en jeu.
- S’il n’y a pas (heureusement) de « méthode à idées », différents éléments peuvent être mis en évidence au travers de différents dispositifs favorisant le « travail d’idées ». Jeux en interactivité, jeu autour d’un « seul » élément, improvisation « incitée », jeu avec traitement électroacoustique, consigne de mode « répertorié » ou « fabriqué », proposition involontaire et impromptue à saisie au vol, … Dans chaque situation, nous pouvons trouver un point d’accroche qui peut être un point d’entrée pour l’élève (et l’enseignant). Au fil de l’expérience, l’enseignant s’enrichit d’outils-ressources pédagogiques qui l’aident à imaginer des dispositifs adaptés à une situation donnée peu souvent prévisible. L’élève aussi s’aménagera sa « boîte à outils », ses jalons de références qui lui permettront d’élaborer des stratégies de jeu, de répondre aux sollicitations inattendues, d’en provoquer d’autres. En gardant à l’esprit et au jeu la notion nécessaire du tâtonnement, quelques fois de l’errance ou du chaos par où passe le chemin pour progresser et se développer.
20 avril 2011
Travail sur le son et évaluation…
Dans le travail sur le son, comme du reste en ce qui concerne ce qui a trait à la dimension « création », une interrogation est en rapport avec ce qui est de l’évaluation.
[Dans le processus pédagogique, dans le processus d’apprentissage, l’évaluation est essentielle pour « estimer » et suivre l’évolution de l’élève dans son apprentissage, pour « reconnaître » l’élève là où il en est. L’évaluation est aussi un apport important pour imaginer les dispositifs à proposer à l’élève pour le « pas suivant »,]
Et l’évaluation vient aussi parfois par des détours inattendus. Lors d’un cours de clarinette avec deux élèves, en travaillant « sur le son », sur l’ « écoute et la réaction au son » : les élèves « travaillent » avec dispositif électroacoustique, en l’occurrence le plug-in « freeze » de GRM Tools. Un des élèves « joue » avec le son « freezé », choisissant taille et place de « fenêtre », ainsi que les paramètres de répétition et/ou variations de « pitch » ; l’autre élève joue en « par-dessus » ce qu’il entend… Chacun doit donc tenir compte du jeu de l’autre pour faire évoluer le sien… Concernant l’évaluation en tant qu’enseignant « observateur », nous pouvons apprécier les rapports de jeu, le rapport à la « réactivité » qu’ils ont l’un par rapport à l’autre, le rapport que chacun a avec son « instrument », et la « recherche sonore». En même temps, certaines données nous échappent, notamment en ce qui concerne la perception, la « réceptivité » qu’ont les élèves par rapport à ce travail sur le son. C‘est ici qu’un événement pouvant être considérer comme anecdotique prend sens évaluatoire. Lorsqu’un des deux élèves, entre deux phases de jeu déplace une chaise et interpelle l’autre élève en faisant remarquer le son que fait celle-ci lorsqu’il la soulève et la penche, refaisant ce déplacement de l’objet pour recréer le son entendu. Peut-être anecdotique pour certains, mais révélateur dune attention spécifique au « sonore », à l’ « entendu ». Donnant « quittance » impromptue de ce qu’il est « toute ouïe », qu0il y a évolution de sa perception. D’autant plus que dans le déroulement des cours jusqu’à présent, le déplacement de mobilier ou d’objets était plutôt de l’ordre du « dérangeant », du « perturbateur ». Ici, l’observation « spontanée » faite par l’élève est révélatrice de quelque chose « se passant », d’une attitude en évolution, d’un « instant de développement ». Cela donne « valeur » dans le sens de valoriser une évolution, sans chercher à y chercher une « valeur » quantifiable. Ici, l’évaluation donnée par ce fait est surtout une indication significative pour l’enseignant dans la démarche pédagogique développée avec ces élèves, et permet un moment d’échange avec les élèves sur le rapport à l’écoute, en « quittançant » cette « découverte sonore » impromptue effectués par l’élève. Fait de cours bref et inattendu, que l’élève va peut-être oublié, mais qui reste en mémoire de l’enseignant comme un jalon dans le développement du rapport au son, au sonore. Il est parfois des événements « simples » qui sont plus riches en significations que certains dispositifs très élaborés… Par rapport à l’évaluation, dans le cas présenté, il y a manifestement « certification » que « cela s’est passé »…
Mardi 18 janvier 2011
En exploration instrumentale et sonore...
Cet après-midi, avec des changements d’horaires, l'élève est seul au cours.
- 1 élève, C*, un peu plus de 20 ans, 5ème année de clarinette
- Jeu sur la clarinette basse
- Jeu-exploration de l’instrument.
A partir de ce qu’il expérimentait, détermination, caractérisation d’une manière choisie de jouer. [Jeu "avec des notes", régulières en « rythme », rassemblées en petits groupes.]
- Recherche d’une autre manière de jouer, d’une autre approche sonore et musicale…
- Enregistrement / à jeu par-dessus, à la clarinette
- Jeu d’une « pièce haut-parlante »
- Surpris par les propositions sonores des « haut-parleurs », a proposé d’autres sons que ceux qu’il a joués avant, allant plus vers un traitement sonore, mettant en jeu différents effets sonores.
- Pour lui, la pièce haut-parlante a permis de nouvelles explorations sonores, ou de mettre en jeu des idées sonores déjà expérimentés à d’autres occasions. Il y a là, avec lui, un intérêt et un potentiel de développements, et dans le jeu avec des pièces haut-parlantes, et dans la fabrication de matériau pour des pièces haut-parlantes.
Lundi 17 janvier 2011
Interrogation sur l'intégrations de "pièces haut-parlantes"
Une interrogation porte sur comment présenter les pièces haut-parlantes aux élèves, comment aller vers ces pièces pour qu’elles puissent prendre sens pour eux.
Ce « déchiffrage » est-il à leur portée, ou est-il nécessaire d’avoir un « travail d’approche », une « préparation au terrain » ?
Pour les deux expérimentations de cette après-midi de cours, si les interrogations de départ étaient semblables, les explorations ont été différentes, selon ce que les élèvent étaient ou apportaient d’eux dans le déroulement du cours.
Deux points de « guidage » pédagogique :
- Partir de où est l’élève (sont les élèves)
- Expérimenter un processus par soi-même, avant de le recevoir de l’extérieur…
Deux développements sont ici, dans cette « première approche », mis plus spécifiquement en évidence :
- Développement de l’oreille, de l’écoute
- Développement de la « proposition », de la faculté d’inventer
- Avec deux élèves : V*, 10 ans, 2ème année de clarinette / N*, 9 ans, 2ème année de clarinette
- V* est un moment seul avant l’arrivée de N*. A partir d’un de ses premiers sons du cours, « à la recherche » d’un son « à l’aise », d’une anche permettant de l’être, nous parlons en lien avec le jeu de ce que peut être le son, en proposant à Vincent d’explorer différentes variantes d’un son sur 1 seule note…
- Lorsque N* arrive, elle se joint au jeu, et ils jouent « en duo » chacun 1 son, puis une « variation sur 1 son »…
- à dans la suite de l’exploration, nous arrivons à proposer de travailler sur une « machine à sonner », un lieu où l’on fabriquerait des sons de diverses qualités, de divers aspects… àréaliser (à 2) un jeu improvisé d’env. 1 à 2 minutes de « machiner à sonner ». Enregistrement de cette séquence
- A partir de ces deux séquences enregistrées, proposition de jeu à la manière de ce qui est proposé pour les « pièces haut-parlantes »…
- L’enregistrement sera diffusé par les haut-parleurs
- 1 élève jouera sur l’enregistrement
- 1 élève sera l’auditeur
- A la fin du jeu sur l’enregistrement, nous discutons sur ce qui peut être relevé de cette séquence, de la position de l’auditeur, de la position du joueur, de ma position d’auditeur/observateur. « Qu’est-ce que j’ai entendu ? » « De quoi je me souviens ? » « Qu’est-ce que j’ai remarqué ? » sont en quelque sorte les questions qui sous-tendent cet échange.
- Inversement des rôles « joueur » / « auditeur »
- Les réalisations sont enregistrées, ce qui peut permettre notamment à l’élève « joueur » d’écouter la réalisation, et pédagogiquement, d’avoir des traces qui peuvent permettre de suivre l’évolution du processus sur un plus long terme.
- Dans les réalisations par-dessus les enregistrements, les élèves ont ici utilisé un langage mélodico-rythmique plus « traditionnel » que les propositions qu’ils ont jouées pour l’enregistrement.
- Durée de la séquence : env. 45 minutes
- Avec 2 élèves : D*, 15 ans, 2ème année de clarinette / A*, 14 ans, 6ème année de clarinette
- Recherche sonore « bec et bocal de clarinette basse » pour l’un, « bec et barillet de clarinette » pour l’autre. -- Moment de recherche, en alternance puis en simultané de ce qui peut être joué avec cet instrument « restreint » à Chacun choisit un type, un « élément » de jeu qui sera sa « référence » pour improviser à enregistrement en duo d’une séquence, chacun à partir de l’élément de jeu choisi
- Changement d’instrument : bec + corps du haut pour les 2 instruments [à l’origine du choix pour la clarinette basse, un problème technique empêchant de jouer avec le bas…] à moment de recherche, et choix d’un élément-type de jeu à enregistrement d’une séquence
- Jeu par-dessus les enregistrements, à la manière des pièces « haut-parlantes » : diffusion de l’enregistrement ([A] – silence – [B]), l’un joue, l’autre est auditeur (écouteur)
- Echanges d’observations, d’impressions, …
- Changement de rôle joueur – auditeur (écouteur)
- Echanges
- Les jeux sur enregistrements sont aussi enregistrés comme « traces ».
Pour cette réalisation de jeu « par-dessus », un élève n’avait au début pas bien saisi la consigne, pensant qu’il ne fallait pas jouer pendant les silences. Les deux élèves ont « cherché » à faire quelques chose avec ce qu’ils entendaient de la séquence enregistrée/diffusée. En tant qu’auditeurs, ils ont pu faire des observations engageant des échanges entre eux.
Durée de la séquence : env. 40 minutes