PEDAGORE actualisation 09
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Interview de Luc Fuchs par Alexandre Loeffler (janvier 2005)
Suite à la première expérience d'évaluation formative des professeurs de la Fédération des Ecoles Genevoises de Musique, Alexandre Loeffler (pianiste, enseignant au CPM), a souhaité interviewer différents professeurs ayant participé à cette première série d'évaluations, réalisées avec des professeurs volontaires pour cette démarche.
LUC FUCHS ( professeur de clarinette CPM)
REFLEXIONS AUTOUR DE L’EVALUATION FORMATIVE
Luc, qu’est-ce qui ta poussé à te présenter spontanément
pour l’évaluation formative?
D’une part un goût du défi. D’autre part je voulais faire le point sur mon enseignement. Bref, communiquer au sujet de mon travail et instaurer un dialogue pédagogique. Etant souvent étiqueté comme quelqu’un pratiquant une pédagogie particulière, je trouvais que c’était là l’occasion d’une confrontation intéressante.
Peux-tu expliquer en quoi consiste la spécificité de ton enseignement?
Lorsque dans les années
90, Roland Vuataz a ouvert le débat sur l’improvisation, j’ai
été immédiatement attiré par ce projet. D’autant
plus que l’on était en pleine époque du Plan Renne et de
la question de l’enseignement en groupes. On peut dire que c’est
à cette occasion que j’ai commencé “officiellement”
un travail plus spécifique en la matière.
En 96, un groupe de réflexions sur l’improvisation a vu le jour
et, au vu de mon engagement marqué dans cette voie, Roland Vuataz m’a
contacté pour en prendre la présidence. J’ajoute avoir choisi
ce dernier comme évaluateur, parce que c’était pour moi
une opportunité de boucler la boucle après de nombreuses années
de collaboration sur le sujet.
Quelles sont tes impressions générales sur cette première expérience d’évaluation?
Ayant suivi assez régulièrement
la progression et la mise en place de l’évaluation formative, je
trouvais que les choses se présentaient plutôt bien. De plus, la
séance d’information m’avait fortement impressionné,
grâce à la brillante personnalité d’Anne
Perreard-Vité, la pertinence de ses observations et également
parce qu’elle tenait compte des diverses sensibilités de ses interlocuteurs.
Le fait que les EGM aient pu s’attacher une telle aide pour mener à
bien l’évaluation ma semblé une garantie de
sérieux supplémentaire.
Quant à l’organisation elle-même, il faut tenir compte que
bien des choses sont sans doute perfectibles et évolueront certainement.
Mais il fallait bien une première fois!
Dans le cadre de l’évolution future de cet exercice, certaines remarques te viennent-elles à l’esprit?
On peut toujours se demander
si les deux fois deux x deux heures prévues pour les observations sont
suffisantes ou non. Dans mon cas particulier, des problèmes dans le planning
et un changement tardif de l’un des observateurs, ont un peu chamboulé
l’organisation de celles-ci et je n’ai pas pu toujours bénéficier
de la discussion post-observation que je considère comme centrale pour
cet exercice.
On pourrait peut-être envisager un entretien avec les parties prenantes
avant les observations. Une idée courante voudrait que l’on s’abstienne
de discussions avec nos évaluateurs avant une évaluation ou un
examen. Mais ici, nous ne sommes pas dans
le cas d’un concours et donc ce point-de-vue ne se justifie pas véritablement.
Nous avons tout à gagner en étant le plus ouverts possible et
la présentation de certaines idées pédagogiques avant leur
observation me parait une idée à creuser.
Est-ce que les deux évaluateurs ont assisté ensemble à tes leçons?
A cause des problèmes
organisationnels relevés plus haut, cela n’a pas été
possible. Un des évaluateurs a assisté à quatre4 leçons
et l’autre a observé deux fois les mêmes cours à deux
semaines d’intervalle. Mais ils avaient aussi des souhaits différents
dans les cours qu'ils désiraient observer.
On pourrait d’ailleurs expérimenter d’autres formules, si
les moyens le permettent. Par exemple que les observateurs assistent d’abord
seuls aux leçons puis ensemble (ou le contraire). Ou bien qu’ils
assistent encore à une audition. La question est aussi de
savoir ce que l’on veut et à quoi l’on veut aboutir avec
une évaluation.
Est-ce que, d’après toi, l’évaluation des professeurs peut conduire ces derniers à modifier la façon dont eux-mêmes évaluent des élèves?
Il y a un parallèle
à tirer. Que ce soit lors de la présentation d’Anne Perreard-Vité
ou dans le courant de l’évaluation, j’ai été
frappé par la parenté des paramètres et des termes utilisés
avec ceux dont nous usons pour l’évaluation de nos élèves.
Les critères
sont très proches. Je citerai par exemple les oppositions entre regard
objectif et regard subjectif. De toute manière cela permet de pointer
du doigt le peu de réflexion qui existe, à ma connaissance, sur
l’évaluation des élèves. Comment veut-on choisir
de les
évaluer, quel est le rôle d’un examen? Quel équilibre
à trouver entre évaluationL’évaluation d’un
élève doit-elle être continue, formative, sommative? Ce
sont là des questions qui me semblent essentielles.
Est-ce que cette expérience d’évaluation a été aussi l’occasion pour toi de t’adresser à ton institution directement, notamment grâce à la constitution du dossier personnel?
Je désirais, au travers de réflexions pédagogiques, ouvrir un débat sur ce qui peut faire avancer une école, sur l’apport spécifique des professeurs à la marche de l’institution. L’évaluation me semblait l’occasion être une opportunité pour que l’enrichissement se fasse des deux côtés. Mon dossier était assez fourni à cet égard.
Y as-tu consacré beaucoup de temps?
C’était le
premier dossier que je constituais à loccasion d’une évaluation
formative, j’y ai donc investi de nombreux mois de réflexions et
beaucoup d’heures pour sa rédaction. Peut-être que dans sept
ans il n’en sera pas de même puisqu’une première pierre
aura déja été posée.
Ce dossier a été pour moi, comme je l’imagine pour beaucoup
d’autres enseignants, une manière de porter un regard sur ce que
j’avais accompli durant ma carrièreon parcours. Lorsque nous avançons,
nous ne nous rendons pas forcément compte du chemin parcouru.
Dès l’instant où j’ai su que je serais évalué,
la réflexion a débuté, puis elle a mûri en moi assez
longtemps avant que je ne me mette à la rédaction du dossier.
Et est-ce que le document vert t’a servit de base pour ce dossier?
Bien-entendu au départ. Mais par la suite je l’ai oublié rapidement et le dossier s’est organisé avec sa propre logique. Par exemple, en ce qui concerne mon CV, j’ai passé rapidement sur mes activités de concert pour me recentrer principalement sur les rencontres déterminantes qui ont jalonné mon parcours et qui ont influencé le travail que je fais actuellement.
Peux-tu parler de ces rencontres ou de leur nature?
Il y a eu en premier lieu
un de mes anciens professeurs, très ouvert sur la pratique de musique
d’ensembles, des collègues avec lesquels j’ai eu des échanges
prolongés et bien-sûr Roland Vuataz. Les domaines étaient
interdisciplinaires et abordaient aussi la
musique contemporaine. En bref, les contacts furent très nombreux, sans
parler des opportunités de formations spécifiques. J’ajouterais
que le CPM et son directeur furent pour beaucoup dans le développement
que j’ai pu amener à mes activités pédago-
giques. Leur dynamisme et leur ouverture permettent de mettre en valeur le potentiel
des enseignants.
Au regard du bilan final, cette évaluation constitue-t’elle pour toi une expérience positive?
C’est en effet une
expérience positive, mais je reste un peu sur ma faim quant aux suites
qu’elle peut occasioner. J’ai beaucoup apprécié le
rôle de médiateur et de modérateur de notre directeur lors
de la réunion oùû toutes les parties se trouvaient en pré-
sence. Ce dernier a parfaitement dégagé les éléments
qui apparaissaient dans mon cas. Ces éléments assez précis
et déterminés ont toutefois révélé un antagonisme
entre la vision commune que Roland Vuataz et moi-même partagions et celle
de l’autre observateur ainsi que de mon doyen.
Pourrais-tu expliciter les enjeux de cet antagonisme?
On peut résumer
la chose ainsi. Ma vision pédagogique part de l’élève
et de ce qu’il peut apporter par sa personnalité dans la musique
qu’il joue, alors que la vision opposée partirait plutôt
de la partition et des moyens existants pour y amener l’élève.
Ces conceptions différentes peuvent être sources de conflits lors
de confrontations pédagogiques ou à l’occasion d’examens.
Le problème une fois posé, l’enjeu était de trouver
comment permettre à ces deux visions de se rejoindre et de se compléter
sans demeurer simplement en opposition.
Cela suscite de nombreuses interrogations impliquant l’école dans
son ensemble. La question peut se poser ainsi: Que faire pour que dans un tel
contexte, tous les enseignants d’une institution puissent profiter des
apports générés par les autres profes-
seurs?
Quel serait selon toi le moyen d’y parvenir?
Il faudrait dans un premier
temps qu’au sein d’un décannat l’on puisse parler de
manière constructive lorsque des visions s’opposent; et ne pas
se cantonner dans un registre où un professeur, parce qu’il est
différentd, se retrouve “contre” les autres. Le
rôle d’un décannat est de permettre de faire comprendre les
démarches propres à chacun des professeurs.
Nous manquons d’ailleurs de lieux de réflexions pédagogiques
et je perçois le conseil décanal est surtout comme une instance
organisationnelle et administrative. J’aurais le souhait que puisse se
créer un organe pédagogique ouvert. J’en ai parlé
dans mon dossier et il a été relevé lae problème
problématique que soulevait la question des suites a donner aux idées
exposées
et mises en exergue lors des évaluations. Comment ces dernières,
servant au développement des professeurs en premier lieu, pourraient
également enrichir toute l’institution. Peut-être qu’un
bilan, non qui ne soit pas seulement formel du déroulement des évaluations,
permettrait de collecter un certain nombre d’idée pédagogiques
découvertes à cette occasion. Celles-ci ne dynamiseraient pas
seulement les professeurs mais l’ensemble de l’institution.
Est-ce que ton évaluation ta permis d’exposer tes credo de manière satisfaisante?
Elle m’a permis de
démarginaliser ma position dans un contexte exempt de résultat
certificatif ou sanctionnant. Elle a, en quelque sortes, donné quittance
à une démarche existante. Une démarche pouvant être
discutée, comme toute démarche, mais possé-
dant des fondements sérieux. Elle m’a conforté dans mes
idées, tout en sachant que ces dernières nécessitent des
améliorations. J’ai d’ailleursIl faudrait maintenant que
je puisse discuteré par la suite avec mon doyen pour essayer de trouver
dans quelle mesure il serait possible de donner une suite concrète aux
problèmes soulevés par au travers de mon évaluation en
ce qui concerne le décanat, et avec la direction pour ce qui concerne.
plutôt l'institution. Cependant, actuellement, c’est surtout par
un travail d’échanges et d’expériences en compagnie
de collègues issus d’autres disciplines instrumentales que je poursuis
ma démarche.
As-tu d’autres remarques à faire sur la procédure elle-même?
Lorsque l’on s’interroge
sur la durée arbitraire des deux fois deux heures proposées pour
les observations, il ne faut pas perdre de vue le caractère très
partiel de cette évaluation.
Seul le dossier du professeur peut être considéré comme
assez complet. Un certain nombre
de points ne sont pas vraiment abordés et les évaluateurs ne voient
que peu d’aspects du travail d’un enseignant. De nombreuses questions
que je me posais quant à ma démarche envers mes élèves
n’ont pu être abordées faute de temps. Je pense également
au problème de la complémentarité entre global et détail
lors du travail avec ceux-ci. L’enseignement est soumis à des lois
naturelles d’équilibre entre deux pôles qui semblent se repousser.
Observer la manière dont un enseignement joue de cet équilibre
me semblerait un sujet passionnant à analyser. Le professeur est une
personne qui jongle en permanence avec des antagonismes dont l’équilibre
est fragile. Pourquoi ne pas imaginer aussi une évaluation tenant compte
de l’évolution d’un travail, avec par exemple, une première
rencontre en automne et une autre au printemps suivant. Le suivi du regard des
évaluateurs serait alors beaucoup plus efficace.
Par ailleurs, un des nombreux crédits à porter à notre
école, est qu’elle est un lieu privilégié d’ouvertures
dans un grand nombre de domaines. Elle alimente notre appétit de la découverte
et du renouvellement d’idée. Mon souci serait que les nombreuses
idées
exposées à l’occasion de réunions ne restent pas
lettres mortes et puissent être développées de manière
aboutie.
Selon toi, est-ce une question de moyens financiers?
Pas seulement, il y a le
facteur temps également. De plus nous ne sommes pas encore dotés
d’une véritable politique de recherche pédagogique dans
nos institutions.
Il n’existe pas, à ma connaissance, d’institut de recherches
pédagogiques en lien avec la musique comme le CEFEDEM Rhône-Alpes,
à Lyon. Un institut, en contact avec le terrain et les réalités
de ce dernier, propre à coordonner ses réflexions avec celles
des professeurs.
Cela impliquerait bien-entendu d’importantes charges financières.
La volonté d’évolution existe mais pour la réaliser
nous aurons besoin tôt ou tard d’autres moyens. Travailler avec
des gens qui sortent du contexte purement musical, comme nous l’avons
fait avec Anne Perreard-Vité serait également un développement
souhaitable.
Luc, penses-tu que l’observation
d’un collègue enseignant le même instrument que
nous soit indispensable?
A mon sens, pas vraiment.
Mais cela pose la question de l’opposition entre évaluation didactique
et pédagogique. Les deux termes pris au sens strict peuvent soulever
une apparente contradiction. Contradiction que l’on retrouve lors de la
formation des étu-
diants, futurs enseignants. Lors de débats avec des professeurs de stages,
des questions similaires restent sans réponses. L’enseignement
de la pédagogie souffre d’un cloisonnement par disciplines instrumentales
alors que les bases elles-mêmes sont
communes.
C’est la raison pour laquelle je pense qu’il y a peut-être
des choses plus importantes à observer que des spécificités
instrumentales. En tous les cas, il reste primordial que l’un des deux
observateurs soit musicien et pratique activement un instrument.
J’ai l’impression en t’écoutant, qu’avant d’être un professeur de clarinette, tu es surtout un pédagogue de la musique.
J’ai surtout l’impression
de vouloir faire de la musique par l’intermédiaire de la clarinette,
en enseignant cet instrument le mieux possible bien-sûr. L’instrument
doit finir par s’oublier au profit de la musique. Un des fondements de
mon enseignement peut être
résumé par la question suivante: Qu’est-ce que l’élève
peut donner à son instrument pour s'exprimer à travers lui, et
que puis-je lui apporter pour l’y aider, ceci sans mode d’emploi
pré-établi. Cette question en entraine une autre, à savoir,
si la règle précède la musique ou si c’est au contraire
la musique qui précède la règle.
Aujourd’hui, nous apprenons encore beaucoup avec un système privilégiant
la première hypothèse, et ceci à tous les niveaux d’apprentissage.
Heureusement tout le monde ne fonctionne pas ainsi. Historiquement, nous savons
que les règles ont été
déduites de la musique. Les codifications, à l’exemple des
traités anciens, ont toujours suivi
une musique pré-existante. Ceci m’amène à m’interroger
sur la chronologie de l’apprentissage. D’abord musique ancienne
puis musique contemporaine? Solfège puis instrument (bien que dans ce
cas il existe une raison administrative)? Pour prendre l’exemple de la
clarinette, il existe peu de recueils qui juxtaposent des oeuvres de différents
styles et types d'écritures, contemporaine, graphique, traditionnelle,
consignes d'improvisation, jeux d'ensemble, etc. avec une autre motivation qu’une
progression hiérarchisée donnant la part
belle à la chronologie ou au nivellement par difficultés.
Les régles sécurisent tout le monde, de l’élève
au professeur en passant par les parents d’élèves. Pourtant
des décalages importants apparaissent. Les élèves ne jouent
pas la musique qu’ils écoutent quotidiennement, on ne leur enseigne
peut-être
plus de la même façon qu’à leurs parents et de plus
il peut exister de fortes divergences entre deux professeurs enseignant le même
instrument au sein d’une même école. Une école a tout
a gagner à permettre aux différences de s'exprimer plutôt
que de chercher une moyenne donnant une illusion d'unité.
En guise de conclusion, comment verrais-tu l’évaluation formative évoluer dans le futur?
Je ne pense pas que pour
une première expérience nous aurions pu faire beaucoup mieux.
Nous devons nous efforcer de définir ce que nous voulons en obtenir et
quelle direction nous voulons prendre avec ce nouvel outil. J’attendrais
de nos institutions qu’à
l’avenir elles rassemblents les informations récoltées à
cette occasion (peut-être sous forme d’un rapport) pour en tirer
un matériel pédagogique utile à tous et définissant
leurs propres attentesnt. Ce rapport pourrait avoir des liens avec la formation
continue.
Je constate souvent que des professeurs ayant suivi une formation continue dans
un domaine comme l’improvisation se déclarent incompétents
pour la pratiquer dans leur activité pédagogique. Est-ce normal?
Pourtant celle-ci est inscrite d’une manière ou d’une autre
dans tous les cursus.
Souvent encore, je remarque que la position des professeurs lors de ces formations
continues est assez passive. Dans le sens qu’ils y occupent une position
d’élèves etne peuvent concrètement faire l’expérience
à un niveau pédagogique de ce qu’ils dé-
couvrent. A l’heure où l’on souhaite plus d’autonomie
de la part de nos élèves, qu’en est-il de la nôtre?
Je regrette par ailleurs la disparition de la semaine commune de formation continue
du au mois de novembre. Elle avait le double avantage d’intervenir à
une période où les professeurs vivaient plus concrètement
leurs problématiques et de jouir d’une plus
grande lisibilité auprès de nos élèves.
Propos recueillis et transcrits par Alexandre Loeffler, janvier 2005
Interview parue dans le bulletin interne du Conservatoire Populaire de Musique de Genève de février 2005