dernière mise à jour: 19 mai 2009

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Interview de Luc Fuchs par Alexandre Loeffler (janvier 2005)

Suite à la première expérience d'évaluation formative des professeurs de la Fédération des Ecoles Genevoises de Musique, Alexandre Loeffler (pianiste, enseignant au CPM), a souhaité interviewer différents professeurs ayant participé à cette première série d'évaluations, réalisées avec des professeurs volontaires pour cette démarche.


LUC FUCHS ( professeur de clarinette CPM)

REFLEXIONS AUTOUR DE L’EVALUATION FORMATIVE


Luc, qu’est-ce qui ta poussé à te présenter spontanément pour l’évaluation formative?

D’une part un goût du défi. D’autre part je voulais faire le point sur mon enseignement. Bref, communiquer au sujet de mon travail et instaurer un dialogue pédagogique. Etant souvent étiqueté comme quelqu’un pratiquant une pédagogie particulière, je trouvais que c’était là l’occasion d’une confrontation intéressante.

Peux-tu expliquer en quoi consiste la spécificité de ton enseignement?

Lorsque dans les années 90, Roland Vuataz a ouvert le débat sur l’improvisation, j’ai été immédiatement attiré par ce projet. D’autant plus que l’on était en pleine époque du Plan Renne et de la question de l’enseignement en groupes. On peut dire que c’est à cette occasion que j’ai commencé “officiellement” un travail plus spécifique en la matière.
En 96, un groupe de réflexions sur l’improvisation a vu le jour et, au vu de mon engagement marqué dans cette voie, Roland Vuataz m’a contacté pour en prendre la présidence. J’ajoute avoir choisi ce dernier comme évaluateur, parce que c’était pour moi une opportunité de boucler la boucle après de nombreuses années de collaboration sur le sujet.

Quelles sont tes impressions générales sur cette première expérience d’évaluation?

Ayant suivi assez régulièrement la progression et la mise en place de l’évaluation formative, je trouvais que les choses se présentaient plutôt bien. De plus, la séance d’information m’avait fortement impressionné, grâce à la brillante personnalité d’Anne
Perreard-Vité, la pertinence de ses observations et également parce qu’elle tenait compte des diverses sensibilités de ses interlocuteurs. Le fait que les EGM aient pu s’attacher une telle aide pour mener à bien l’évaluation ma semblé une garantie de
sérieux supplémentaire.
Quant à l’organisation elle-même, il faut tenir compte que bien des choses sont sans doute perfectibles et évolueront certainement. Mais il fallait bien une première fois!

Dans le cadre de l’évolution future de cet exercice, certaines remarques te viennent-elles à l’esprit?

On peut toujours se demander si les deux fois deux x deux heures prévues pour les observations sont suffisantes ou non. Dans mon cas particulier, des problèmes dans le planning et un changement tardif de l’un des observateurs, ont un peu chamboulé l’organisation de celles-ci et je n’ai pas pu toujours bénéficier de la discussion post-observation que je considère comme centrale pour cet exercice.
On pourrait peut-être envisager un entretien avec les parties prenantes avant les observations. Une idée courante voudrait que l’on s’abstienne de discussions avec nos évaluateurs avant une évaluation ou un examen. Mais ici, nous ne sommes pas dans
le cas d’un concours et donc ce point-de-vue ne se justifie pas véritablement. Nous avons tout à gagner en étant le plus ouverts possible et la présentation de certaines idées pédagogiques avant leur observation me parait une idée à creuser.

Est-ce que les deux évaluateurs ont assisté ensemble à tes leçons?

A cause des problèmes organisationnels relevés plus haut, cela n’a pas été possible. Un des évaluateurs a assisté à quatre4 leçons et l’autre a observé deux fois les mêmes cours à deux semaines d’intervalle. Mais ils avaient aussi des souhaits différents dans les cours qu'ils désiraient observer.
On pourrait d’ailleurs expérimenter d’autres formules, si les moyens le permettent. Par exemple que les observateurs assistent d’abord seuls aux leçons puis ensemble (ou le contraire). Ou bien qu’ils assistent encore à une audition. La question est aussi de
savoir ce que l’on veut et à quoi l’on veut aboutir avec une évaluation.

Est-ce que, d’après toi, l’évaluation des professeurs peut conduire ces derniers à modifier la façon dont eux-mêmes évaluent des élèves?

Il y a un parallèle à tirer. Que ce soit lors de la présentation d’Anne Perreard-Vité ou dans le courant de l’évaluation, j’ai été frappé par la parenté des paramètres et des termes utilisés avec ceux dont nous usons pour l’évaluation de nos élèves. Les critères
sont très proches. Je citerai par exemple les oppositions entre regard objectif et regard subjectif. De toute manière cela permet de pointer du doigt le peu de réflexion qui existe, à ma connaissance, sur l’évaluation des élèves. Comment veut-on choisir de les
évaluer, quel est le rôle d’un examen? Quel équilibre à trouver entre évaluationL’évaluation d’un élève doit-elle être continue, formative, sommative? Ce sont là des questions qui me semblent essentielles.

Est-ce que cette expérience d’évaluation a été aussi l’occasion pour toi de t’adresser à ton institution directement, notamment grâce à la constitution du dossier personnel?

Je désirais, au travers de réflexions pédagogiques, ouvrir un débat sur ce qui peut faire avancer une école, sur l’apport spécifique des professeurs à la marche de l’institution. L’évaluation me semblait l’occasion être une opportunité pour que l’enrichissement se fasse des deux côtés. Mon dossier était assez fourni à cet égard.

Y as-tu consacré beaucoup de temps?

C’était le premier dossier que je constituais à loccasion d’une évaluation formative, j’y ai donc investi de nombreux mois de réflexions et beaucoup d’heures pour sa rédaction. Peut-être que dans sept ans il n’en sera pas de même puisqu’une première pierre aura déja été posée.
Ce dossier a été pour moi, comme je l’imagine pour beaucoup d’autres enseignants, une manière de porter un regard sur ce que j’avais accompli durant ma carrièreon parcours. Lorsque nous avançons, nous ne nous rendons pas forcément compte du chemin parcouru.
Dès l’instant où j’ai su que je serais évalué, la réflexion a débuté, puis elle a mûri en moi assez longtemps avant que je ne me mette à la rédaction du dossier.

Et est-ce que le document vert t’a servit de base pour ce dossier?

Bien-entendu au départ. Mais par la suite je l’ai oublié rapidement et le dossier s’est organisé avec sa propre logique. Par exemple, en ce qui concerne mon CV, j’ai passé rapidement sur mes activités de concert pour me recentrer principalement sur les rencontres déterminantes qui ont jalonné mon parcours et qui ont influencé le travail que je fais actuellement.

Peux-tu parler de ces rencontres ou de leur nature?

Il y a eu en premier lieu un de mes anciens professeurs, très ouvert sur la pratique de musique d’ensembles, des collègues avec lesquels j’ai eu des échanges prolongés et bien-sûr Roland Vuataz. Les domaines étaient interdisciplinaires et abordaient aussi la
musique contemporaine. En bref, les contacts furent très nombreux, sans parler des opportunités de formations spécifiques. J’ajouterais que le CPM et son directeur furent pour beaucoup dans le développement que j’ai pu amener à mes activités pédago-
giques. Leur dynamisme et leur ouverture permettent de mettre en valeur le potentiel des enseignants.

Au regard du bilan final, cette évaluation constitue-t’elle pour toi une expérience positive?

C’est en effet une expérience positive, mais je reste un peu sur ma faim quant aux suites qu’elle peut occasioner. J’ai beaucoup apprécié le rôle de médiateur et de modérateur de notre directeur lors de la réunion oùû toutes les parties se trouvaient en pré-
sence. Ce dernier a parfaitement dégagé les éléments qui apparaissaient dans mon cas. Ces éléments assez précis et déterminés ont toutefois révélé un antagonisme entre la vision commune que Roland Vuataz et moi-même partagions et celle de l’autre observateur ainsi que de mon doyen.

Pourrais-tu expliciter les enjeux de cet antagonisme?

On peut résumer la chose ainsi. Ma vision pédagogique part de l’élève et de ce qu’il peut apporter par sa personnalité dans la musique qu’il joue, alors que la vision opposée partirait plutôt de la partition et des moyens existants pour y amener l’élève. Ces conceptions différentes peuvent être sources de conflits lors de confrontations pédagogiques ou à l’occasion d’examens.
Le problème une fois posé, l’enjeu était de trouver comment permettre à ces deux visions de se rejoindre et de se compléter sans demeurer simplement en opposition.
Cela suscite de nombreuses interrogations impliquant l’école dans son ensemble. La question peut se poser ainsi: Que faire pour que dans un tel contexte, tous les enseignants d’une institution puissent profiter des apports générés par les autres profes-
seurs?

Quel serait selon toi le moyen d’y parvenir?

Il faudrait dans un premier temps qu’au sein d’un décannat l’on puisse parler de manière constructive lorsque des visions s’opposent; et ne pas se cantonner dans un registre où un professeur, parce qu’il est différentd, se retrouve “contre” les autres. Le
rôle d’un décannat est de permettre de faire comprendre les démarches propres à chacun des professeurs.
Nous manquons d’ailleurs de lieux de réflexions pédagogiques et je perçois le conseil décanal est surtout comme une instance organisationnelle et administrative. J’aurais le souhait que puisse se créer un organe pédagogique ouvert. J’en ai parlé dans mon dossier et il a été relevé lae problème problématique que soulevait la question des suites a donner aux idées exposées
et mises en exergue lors des évaluations. Comment ces dernières, servant au développement des professeurs en premier lieu, pourraient également enrichir toute l’institution. Peut-être qu’un bilan, non qui ne soit pas seulement formel du déroulement des évaluations, permettrait de collecter un certain nombre d’idée pédagogiques découvertes à cette occasion. Celles-ci ne dynamiseraient pas seulement les professeurs mais l’ensemble de l’institution.

Est-ce que ton évaluation ta permis d’exposer tes credo de manière satisfaisante?

Elle m’a permis de démarginaliser ma position dans un contexte exempt de résultat certificatif ou sanctionnant. Elle a, en quelque sortes, donné quittance à une démarche existante. Une démarche pouvant être discutée, comme toute démarche, mais possé-
dant des fondements sérieux. Elle m’a conforté dans mes idées, tout en sachant que ces dernières nécessitent des améliorations. J’ai d’ailleursIl faudrait maintenant que je puisse discuteré par la suite avec mon doyen pour essayer de trouver dans quelle mesure il serait possible de donner une suite concrète aux problèmes soulevés par au travers de mon évaluation en ce qui concerne le décanat, et avec la direction pour ce qui concerne. plutôt l'institution. Cependant, actuellement, c’est surtout par un travail d’échanges et d’expériences en compagnie de collègues issus d’autres disciplines instrumentales que je poursuis ma démarche.

As-tu d’autres remarques à faire sur la procédure elle-même?

Lorsque l’on s’interroge sur la durée arbitraire des deux fois deux heures proposées pour les observations, il ne faut pas perdre de vue le caractère très partiel de cette évaluation.
Seul le dossier du professeur peut être considéré comme assez complet. Un certain
nombre de points ne sont pas vraiment abordés et les évaluateurs ne voient que peu d’aspects du travail d’un enseignant. De nombreuses questions que je me posais quant à ma démarche envers mes élèves n’ont pu être abordées faute de temps. Je pense également au problème de la complémentarité entre global et détail lors du travail avec ceux-ci. L’enseignement est soumis à des lois naturelles d’équilibre entre deux pôles qui semblent se repousser. Observer la manière dont un enseignement joue de cet équilibre me semblerait un sujet passionnant à analyser. Le professeur est une personne qui jongle en permanence avec des antagonismes dont l’équilibre est fragile. Pourquoi ne pas imaginer aussi une évaluation tenant compte de l’évolution d’un travail, avec par exemple, une première rencontre en automne et une autre au printemps suivant. Le suivi du regard des évaluateurs serait alors beaucoup plus efficace.
Par ailleurs, un des nombreux crédits à porter à notre école, est qu’elle est un lieu privilégié d’ouvertures dans un grand nombre de domaines. Elle alimente notre appétit de la découverte et du renouvellement d’idée. Mon souci serait que les nombreuses idées
exposées à l’occasion de réunions ne restent pas lettres mortes et puissent être développées de manière aboutie.

Selon toi, est-ce une question de moyens financiers?

Pas seulement, il y a le facteur temps également. De plus nous ne sommes pas encore dotés d’une véritable politique de recherche pédagogique dans nos institutions.
Il n’existe pas, à ma connaissance, d’institut de recherches pédagogiques en lien avec la musique comme le CEFEDEM Rhône-Alpes, à Lyon. Un institut, en contact avec le terrain et les réalités de ce dernier, propre à coordonner ses réflexions avec celles des professeurs.
Cela impliquerait bien-entendu d’importantes charges financières. La volonté d’évolution existe mais pour la réaliser nous aurons besoin tôt ou tard d’autres moyens. Travailler avec des gens qui sortent du contexte purement musical, comme nous l’avons fait avec Anne Perreard-Vité serait également un développement souhaitable.

Luc, penses-tu que l’observation d’un collègue enseignant le même instrument que
nous soit indispensable?

A mon sens, pas vraiment. Mais cela pose la question de l’opposition entre évaluation didactique et pédagogique. Les deux termes pris au sens strict peuvent soulever une apparente contradiction. Contradiction que l’on retrouve lors de la formation des étu-
diants, futurs enseignants. Lors de débats avec des professeurs de stages, des questions similaires restent sans réponses. L’enseignement de la pédagogie souffre d’un cloisonnement par disciplines instrumentales alors que les bases elles-mêmes sont
communes.
C’est la raison pour laquelle je pense qu’il y a peut-être des choses plus importantes à observer que des spécificités instrumentales. En tous les cas, il reste primordial que l’un des deux observateurs soit musicien et pratique activement un instrument.

J’ai l’impression en t’écoutant, qu’avant d’être un professeur de clarinette, tu es surtout un pédagogue de la musique.

J’ai surtout l’impression de vouloir faire de la musique par l’intermédiaire de la clarinette, en enseignant cet instrument le mieux possible bien-sûr. L’instrument doit finir par s’oublier au profit de la musique. Un des fondements de mon enseignement peut être
résumé par la question suivante: Qu’est-ce que l’élève peut donner à son instrument pour s'exprimer à travers lui, et que puis-je lui apporter pour l’y aider, ceci sans mode d’emploi pré-établi. Cette question en entraine une autre, à savoir, si la règle précède la musique ou si c’est au contraire la musique qui précède la règle.
Aujourd’hui, nous apprenons encore beaucoup avec un système privilégiant la première hypothèse, et ceci à tous les niveaux d’apprentissage. Heureusement tout le monde ne fonctionne pas ainsi. Historiquement, nous savons que les règles ont été
déduites de la musique. Les codifications, à l’exemple des traités anciens, ont toujours
suivi une musique pré-existante. Ceci m’amène à m’interroger sur la chronologie de l’apprentissage. D’abord musique ancienne puis musique contemporaine? Solfège puis instrument (bien que dans ce cas il existe une raison administrative)? Pour prendre l’exemple de la clarinette, il existe peu de recueils qui juxtaposent des oeuvres de différents styles et types d'écritures, contemporaine, graphique, traditionnelle, consignes d'improvisation, jeux d'ensemble, etc. avec une autre motivation qu’une progression hiérarchisée donnant la part
belle à la chronologie ou au nivellement par difficultés.
Les régles sécurisent tout le monde, de l’élève au professeur en passant par les parents d’élèves. Pourtant des décalages importants apparaissent. Les élèves ne jouent pas la musique qu’ils écoutent quotidiennement, on ne leur enseigne peut-être
plus de la même façon qu’à leurs parents et de plus il peut exister de fortes divergences entre deux professeurs enseignant le même instrument au sein d’une même école. Une école a tout a gagner à permettre aux différences de s'exprimer plutôt que de chercher une moyenne donnant une illusion d'unité.

En guise de conclusion, comment verrais-tu l’évaluation formative évoluer dans le futur?

Je ne pense pas que pour une première expérience nous aurions pu faire beaucoup mieux. Nous devons nous efforcer de définir ce que nous voulons en obtenir et quelle direction nous voulons prendre avec ce nouvel outil. J’attendrais de nos institutions qu’à
l’avenir elles rassemblents les informations récoltées à cette occasion (peut-être sous forme d’un rapport) pour en tirer un matériel pédagogique utile à tous et définissant leurs propres attentesnt. Ce rapport pourrait avoir des liens avec la formation continue.
Je constate souvent que des professeurs ayant suivi une formation continue dans un domaine comme l’improvisation se déclarent incompétents pour la pratiquer dans leur activité pédagogique. Est-ce normal? Pourtant celle-ci est inscrite d’une manière ou d’une autre dans tous les cursus.
Souvent encore, je remarque que la position des professeurs lors de ces formations continues est assez passive. Dans le sens qu’ils y occupent une position d’élèves etne peuvent concrètement faire l’expérience à un niveau pédagogique de ce qu’ils dé-
couvrent. A l’heure où l’on souhaite plus d’autonomie de la part de nos élèves, qu’en est-il de la nôtre? Je regrette par ailleurs la disparition de la semaine commune de formation continue du au mois de novembre. Elle avait le double avantage d’intervenir à une période où les professeurs vivaient plus concrètement leurs problématiques et de jouir d’une plus
grande lisibilité auprès de nos élèves.


Propos recueillis et transcrits par Alexandre Loeffler, janvier 2005

Interview parue dans le bulletin interne du Conservatoire Populaire de Musique de Genève de février 2005